Sur ta rue

Ça s’est passé au Parc Dominion

Je ne suis peut-être pas la seule à trouver qu’un parc d’attraction peut être à la fois synonyme de joie mais aussi d’horreur.  Que ce soit dans la réalité ou dans l’imaginaire, en passant par les légendes urbaines, ces lieux mythiques sont luxuriants de faits divers à raconter.

Je me rappelle de cette fausse légende voulant que le ”Monstre” à La Ronde ait déjà complètement déraillé, faisant des dizaines de morts alors que l’affaire aurait été étouffée par… une autorité quelconque.  Bien entendu, ce n’est jamais arrivé.  Or, parmi les faits divers survenus à travers le temps à La Ronde, peu d’événements tragiques se sont produits, si ce n’est que les tristes noyades de 1973 et de 1979 sur le Lac des Dauphins, quelques accidents isolés ou des crimes commis non loin de là à la fermeture du parc.

Parc Dominion vers 1927, E21,S110,SS1,SSS1,PN49-26, BAnQ nuémérique

Toutefois, si on recule dans le temps, cette foisonnante imagination collective prend maintenant une forme un peu plus palpable…

En 1906, le Parc Dominion est inauguré sur la rue Notre-Dame, dans l’est de Montréal.  Cet endroit mythique situé là où est maintenant le Centre de formation des pompiers de Montréal allait être un lieu conjuguant manèges, curiosités, concours d’adresse, plaisir mais aussi des événements effroyables. 

La Presse, 21 juin 1906, BAnQ

Alors que le parc n’est même pas encore en fonction, en mars 1906, un bâtiment du Parc s’écroule, faisant du coup une vingtaine d’ouvriers blessés.  Cela n’empêchera pas le Parc Dominion d’être inauguré sous le signe de la joie et du divertissement.  En juin 1906, la femme d’un dompteur se faisait mordre par leur gros chien danois qui séjournait dans une cage avec… quatre lions!  Ses blessures étant graves, elle a eu la chance qu’un docteur soit présent sur les lieux et puisse lui apporter les premiers soins.  Sachez qu’ici au Québec, que ce soit avec la venue des cirques ou dans les parcs d’attractions, une kyrielle de mésaventures incroyables est survenue avec des animaux, que ce soit des évasions en pleine ville ou encore des décès violents. 

Acte de notaire de la Dominion Park co. # 12325, Ancestry, Fonds Cour Supérieure. District judiciaire de Montréal. Cote CN601. Croquis: La Presse, 12 mars 1906, BAnQ
Le Canada, 16 juillet 1906, BAnQ

C’est en juillet 1906 que je retrouve une nouvelle qui se démarque du lot, surtout pour l’époque.  Deux jeunes hommes arrêtés pour avoir personnifié de “fausses filles” afin de séduire des hommes et de leur faire dépenser « joliment » des sous dans les attractions. Or, l’endroit semble attirer son lot de « pickpockets« .

Malgré tout, et c’est bien normal, le parc attire de grandes foules jour après jour et fait la joie des petits et des grands.  Et les attractions d’hier ne sont pas celles d’aujourd’hui.  C’était une époque de curiosités, de «freak show» et de spectacles ambitieux et surtout dangereux.  À l’instar des lieux d’attractions américains, le Parc Dominion recevait aussi des artistes hors norme.  

Publicités dans Le Canada, entre juillet et septembre 1906

Il y a eu Oscar Babcock l’audacieux, un cycliste téméraire qui exécuta durant de nombreuse années le “Whirl of Death”.  Décédé à 81 ans en 1957, l’appartement de Babcock avait des airs de musée avec ses innombrables trophées, médailles et autres souvenirs de sa dangereuse carrière.

The Indianapolis Star, newspapers.com

Il y a aussi eu l’Australienne Ella Zuila, la cycliste funambule ainsi que Minting, le cycliste champion du monde qui dévalait une spirale vertigineuse!  Tous ces artistes de renom ont performé au Parc Dominion.   

En novembre 1907, un incendie se produisit.  Le temps étant venteux, plusieurs attractions sont réduites en cendre alors que les pompiers de Maisonneuve tentent du mieux qu’ils peuvent de réduire les dégâts.  Le Parc Dominion était carrément à reconstruire.

La Presse, 7 novembre 1907, BAnQ

Le 12 août 1911, un accident mystérieux survint dans les montagnes russes “Scenic Railway”.  Edward Long a été projeté du manège pour se tuer instantanément en dégringolant dans le treillage de la charpente.  Personne, pas même son ami qui prenait place à côté de lui n’a pu expliquer cet étrange drame. 

L’année suivante, en 1912, une querelle éclate entre deux employés du Parc.  Au terme de cette bagarre, William Biles décède suite à des coups de couteau.  

En juin 1913, un autre incendie considérable eut lieu au Parc Dominion.  Plusieurs bâtiments en bois ont été réduits en cendres.  Une reconstruction était encore à prévoir.

Un employé ayant sauvé 3 vies, La Presse, 12 août 1919, BAnQ

Mais le plus terrible des incendies survenus au Parc fut sans contredit celui d’août 1919.  Pour des raisons qui n’ont jamais tout à fait été établies, le feu prit naissance et brûla rapidement une partie du manège le “Vieux Moulin” et les flammes se propagèrent très rapidement, de sorte que même les fameuses montagnes russes “Scenic Railway” se sont écroulées dans le brasier.  Deux employés du parc, un préposé aux chaloupes et un commis au billets, vont sauver cinq personnes au péril de leur vie.  Un de ces deux héros a subi des blessures aux bras.  Les pompiers réussissent également à sauver plusieurs vies.

Les huit victimes étaient presque méconnaissables.  D’horribles scènes à la morgue sont décrites dans les journaux.  Une mère a pu reconnaître sa fille grâce à un morceau de jupon qu’elle lui avait fabriqué de ses propres mains.  Durant ce temps, un vieillard cherchait deux membres de sa famille qui auraient été vus pour la dernière fois en train de monter à bord du fatal manège. 

Victimes, La Presse, 11 et 12 août 1919, BAnQ
La Presse, 20 août 1919, BAnQ

Dans les journaux, on cherche aussi des gens qui manquent à l’appel et qui venaient tout juste de prendre des photos avant de monter à bord du manège fatidique.  Les photos sont publiées. 

Une fois toutes les dépouilles retrouvées, on réalise qu’il y a eu erreur d’identification des victimes.  Deux corps ne sont pas enterrés au bon endroit car on a confondu les garçonnets.  Il faut exhumer et inhumer à nouveau.

Une grosse commission d’enquête eut lieu.  Les plus éminents professionnels du temps étudient toute l’affaire: entre autres le coroner McMahon et les médecins légistes McTaggart et Wilfrid Derome.  Toutes sortes de rumeurs circulent: on dit qu’un homme a été vu tout juste avant l’incendie, en train de courir vers le fleuve, le visage caché par les mains.  On le cherche, mais en vain.  On parle aussi d’un inspecteur qui , après l’étude des lieux, émet la théorie qu’une étincelle aurait fait enflammer le moteur du manège “Mystic Rill”.  D’autres parlent d’un fumeur négligent.  Malgré tout, la cause de l’incendie ne sera jamais déterminée et le Parc Dominion ne sera pas tenu responsable de l’incendie.  Le père d’une victime poursuivra tout de même la compagnie puisque les manèges étaient apparemment faits d’un bois léger, très inflammable et enduit de goudron séché.

Publicité vu sur le groupe Facebook « Robert Carrière raconte », source: La Presse, 9 juin 1916, BAnQ

Encore une fois, le Parc Dominion fut reconstruit. Ses activités continueront à attirer des visiteurs jusqu’à son déclin dans les années 30.  Le parc ferme en 1937 alors que le Parc Belmont jouit d’une grande popularité à Montréal.

Aujourd’hui, plus rien à cet endroit ne laisse planer le moindre soupçon de toute cette intensité vécu sur ce petit bout de la rue Notre-Dame…

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https://plus.lapresse.ca/screens/f9145b-58cc8-7c4d7-ff165-14646-f2285-5756e-8cd4.html

Pour des photos et cartes postales du Parc Dominion:

https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3133936

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