Il y avait longtemps que j’entendais parler de ce prospecteur minier gaspésien qui avait été accusé du meurtre de trois chasseurs de la Pennsylvanie dans les années 50, crime pour lequel il a ensuite été exécuté. Je savais qu’un doute persistait quant à sa culpabilité. J’ai décidé de prendre le temps de connaitre l’affaire Coffin. Ce que j’ignorais, c’est que pour maîtriser ce sujet, il fallait d’abord en faire un travail à temps plein.

J’ai d’abord lu les trois livres de Jacques Hébert alors que je ne connaissais que les grandes lignes de l’affaire. Le ton sarcastique, voir même émotif de l’auteur m’a agacé car je n’étais pas encore dans la suspicion. Je m’attendais certes à ce qu’ils fassent ressortir les anomalies qu’il préconisait mais je n’avais aucune chronologie des faits et j’avais l’impression de m’y perdre. Toutefois, ça m’a donné les points les plus importants à retenir, ceux qui ont marqué notre imaginaire d’une incertitude ayant transcendé plus d’un demi-siècle. (1)
J’ai aussi pris connaissance du travail de Me Clément Fortin. Ce dernier démonte la théorie selon laquelle Coffin serait une victime d’une grande erreur judiciaire. Ce qui en ressort est plutôt objectif. Jacques Hébert a fait un travail de terrain. Il a rencontré des témoins de la Gaspésie, en passant par la Pennsylvanie, jusqu’à Miami. Les faits qu’il rapporte sont souvent difficilement vérifiables.
L’histoire commence en 1953. Je suis née en 1981. Je pourrais faire du terrain mais je risque de me retrouver devant des pierres tombales ou encore face à des tours à condo. Et qui plus est, je suis aux balbutiements de mes connaissances du jargon judiciaire.
Quant à Me Fortin, il a lu plus de 20 000 pages de dossiers reliées au procès. Il a été minutieux, ordonné et concret.
C’est donc sans prétention et avec le plus de délicatesse possible que je vais tenter d’être moi-même puisque je ne peux pas faire ce qu’ils ont déjà fait avec fougue et expérience.
Je crois toutefois avoir lu et relu plus de 100 articles de journaux. J’ai fait des plans sur des cartes. J’ai cherché des habitants en généalogie et en nécrologie, de la Pennsylvanie jusqu’à Sept-Îles, en passant par Toronto. J’ai cherché dans les registres d’entreprises et dans les vieilles annonces classées. J’ai épluché le Progrès du Golf « à la mitaine » de long en large. J’ai étudié la hiérarchie de la Police Provinciale. J’ai trouvé des avis de destitution et de suspension. J’ai cherché des Jeep couleur faux-bois. J’ai appris comment on extrait le cuivre! Je sais même à quels jeux Facebook joue la descendance de plusieurs témoins…
Je vais donc me permettre d’aborder les points qui font planer un doute dans notre culture populaire.
Des témoins auraient vu un Jeep brun avec des étrangers à bord.
Coffin ne serait peut-être pas le seul potentiel suspect. Selon les témoignages, ces américains auraient été vu avec les chasseurs et à d’autres moments, ils auraient été vu sans eux. Les autorités ont trouvé deux hommes aux États-Unis qui correspondaient à la description et qui auraient affirmé être ces individus. Ils seraient revenus trop tôt pour être les auteurs des meurtres. Néanmoins, il y a un bon nombre de témoignages qui disent le contraire. Ce qui est questionnant, c’est que ces personnes viennent de différents coins de la région. Du moins, trop éloignés les uns des autres pour avoir conspiré sur le perron de l’église…
Or, Jacques Hébert parle dans son livre d’un Jeep qui aurait été sorti de la rivière Juniper, près de Bathurst, au Nouveau-Brunswick, en 1955. Plusieurs encarts de journaux en ont fait mention quand l’histoire est ressortie dans les années 60. Il semblerait que personne n’ait vérifié cette information ne serait-ce qu’à la base. J’ai cherché longuement là-dessus. La première chose à savoir est qu’il n’existe pas de rivière Juniper. Ni en 1955, ni en 2018. Il existe un petit comté qui s’appelle Juniper, bien loin de Bathurst, mais pas de rivière.
À ce sujet, on peut lire dans La Presse du 23 septembre 1955 que la Gendarmerie Royale de Bathurst ne possédait aucune information relative à un Jeep abandonné et retrouvé. Ils ont aussi pris soin de mentionner qu’il n’existe d’ailleurs aucune rivière Juniper.
Même si l’affaire aurait été étouffée, encore

aurait-il fallu que l’information de base fasse un peu de sens. On se retrouve donc sans photo du Jeep, ni témoin, avec des détails qui semblent le fruit d’un bouche à oreille entre Lac Bouchette et Wildwood.
La mystérieuse note disparue.
Wilbert Coffin aurait quitté la Gaspésie vers Montréal le 12 juin 1953. Près du campement où ont été retrouvés les dépouilles des chasseurs, une note pratiquement illisible aurait été retrouvée. La rumeur qui circulait était que celle-ci avait été écrite par un des chasseurs, portant la date du 13 juin 1953. Coffin n’était plus dans les environs de Gaspé à cette date. Cette missive aurait été photographiée par Maurice Edwards et par quelques journalistes. Toutefois, aucun d’entre eux ne l’aurait vu de proche et le photographe l’aurait prise en photo d’une distance de 10 pieds.
C’est en 1964 que le public a pu comprendre ce qu’il en était. La lettre aurait été signée par un certain Thomas M. et avait été retrouvée sous une roche. Lorsque les chasseurs étaient encore portés disparus, un des chercheurs avait laissé une note pour indiquer aux autres chercheurs que l’endroit avait été ratissé. C’était ce Thomas Miller et il a témoigné devant la commission Brossard en 1964 à cet effet. (2)
Un jury vulnérable?
Le jury du procès devait être composé de 6 jurés bilingues et de 6 jurés anglophones. Coffin lui-même et la plupart des témoins s’exprimaient en anglais. Or, La Presse avait sorti lors de la commission un titre accrocheur qui mentionnait qu’un des jurés était sourd et que plusieurs ne comprenaient pas l’anglais. Dans cet article, il était question de

la moitié des jurés qui sont francophones et qui ne connaissaient que peu ou pas la langue anglaise. Pour ce qui est de l’homme « sourd », c’était Cornelius White qui avait témoigné en 1964 avoir été juré alors qu’il entendait « dur » de l’oreille droite et avait l’ouïe affaiblie de la gauche. À la question du juge Brossard à savoir s’il s’en était plaint, le fier petit monsieur avait répondu: « Non! Je ne me suis jamais plaint! » Loin d’être accablant, ce témoignage à du moins le mérite d’être mignon…
Évidemment, lorsqu’on prend la peine de lire les transcriptions du procès, j’imagine que tout cela doit s’éclaircir.
Les autres suspects
En 1958, un homme incarcéré à Miami aurait avoué être l’auteur du crime. Francis Gilbert Thompson aurait monté ces aveux de toutes pièces afin d’éviter la prison aux États-Unis et être rapatrié au Québec.

Toutefois, après avoir interrogé le détenu, les enquêteurs auraient constaté que les faits ne corroboraient pas du tout et que Thompson ne connaissait même pas les routes de la Gaspésie. La mère du suspect, Mme Catherine Lazore, aurait témoigné pour indiquer qu’à l’époque où les meurtres ont été commis, son fils était confiné dans une institution psychiatrique à Brockville en Ontario. (3)
Plus récemment, une autre confession a fait couler de l’encre. Depuis les années 90, il s’était ébruité dans la famille de Philippe Cabot que ce dernier serait le meurtrier des chasseurs. Cet homme au tempérament colérique aurait d’abord été dénoncé par ses propres enfants. Son fils Jean-Gabriel témoigne qu’en 1953, alors qu’il avait 8 ans, il aurait vu son père tuer les trois américains par balles après avoir heurté Eugène Lindsay avec son véhicule. Les souvenirs sont douloureux pour cette famille de Barachois. Ce dernier aurait déserté en 1978 pour refaire sa vie et il est décédé en 1998.


Il est malheureusement difficile d’établir concrètement si ces aveux sont véridiques. À la lumière des nombreux articles que j’ai lu, les cadavres des chasseurs étaient trop décomposés, démembrés et dévorés par les animaux pour que l’autopsie puisse révéler une blessure occasionnée par un véhicule sur la dépouille d’Eugene Lindsey. Le fils de M. Cabot, ainsi que son autre fils qui avait aussi été témoin, sont tous deux décédés. J’avoue toutefois que l’histoire des Cabot me parait teintée de franchise et de souffrances. Un des quelques souvenirs que j’y trouve dans les journaux est ce triste encart de Marie-Blanche qui demande son divorce d’une adresse inconnue. Les années concordent avec les faits racontés par leur fille Micheline.
En scrutant les journaux de 1953, je suis tombée par hasard sur un autre crime survenu à New Richmond, dans la Baie des Chaleurs, au sud de Gaspé. Je n’ai pas entendu parlé de cette histoire dans aucun des documents que j’ai lu sur l’affaire Coffin. Dans la nuit du 23 juillet 1953, Edgar Audet, un gérant de coopérative de 45 ans a été bau à mort avec un objet contondant devant le regard horrifié de son fils de 11 ans. Le jeune François Audet aurait été réveillé par un jeune homme s’étant introduit pour rudoyer son père, qui dormait à côté de lui. Il lui aurait ordonné de prendre les clés de la caisse dans les poches de son père agonisant en prenant la peine de le menacer et de l’informer avoir justement tué 3 hommes le mois dernier. Durant ce temps, un autre homme se tenait apparemment à la porte de la coopérative et aurait dit en anglais à l’assaillant de ne pas tuer le petit, juste l’homme. Ils auraient ensuite filé en voiture. M. Edgar Audet est décédé une heure après l’arrivée du médecin.

Dans la Presse du 24 juillet 1953, soit le lendemain, un article rassurait les lecteurs qu’aucun lien n’existait entre l’affaire Coffin et ce meurtre, selon un porte-parole de la Police. N’était-il pas un peu tôt pour déclarer qu’aucun lien n’est possible entre les deux affaires? Avouons aussi que ça accroche l’œil quand on lit le surlendemain que c’est le fameux capitaine Alphonse Matte, très impliqué dans l’affaire Coffin jusqu’au jour de son exécution, qui s’est non seulement occupé de l’affaire mais qui a aussi fait cette déclaration comme quoi les propos du meurtrier n’étaient que le fruit d’une macabre vantardise et qu’aucun rapport n’était possible. Les deux hommes n’avaient pas encore été localisés, donc encore moins interrogés.
L’homme ayant tué Edgar Audet avait 18 ans et il s’appela it Tracy Boudreau. Il a été arrêté au début août 1953. Il revenait d’un voyage sur le pouce à la recherche de travail. Il n’a avoué son crime qu’après une journée d’interrogatoire. Les mobiles du crime seraient le vol et la vengeance. Il s’est toutefois dépêché de dire qu’il n’avait pas eu de complice, contrairement au témoignage fait par le jeune Audet et dont plusieurs articles ont fait mention. Lors du procès, le garçon a été contre-interrogé et on relate qu’après une longue hésitation, il a fini par dire vaguement qu’il ne se rappelait plus s’il y avait vraiment eu une autre personne avec Boudreau. Je me demande toutefois comment un garçon de cet âge, fort probablement éprouvé, puisse avoir inventé ou même oublié un complice s’ayant exprimé en anglais et ayant ordonné à son comparse de ne tuer que son père. Cette histoire à un étrange aura, d’autant plus qu’un mystère des plus entier plane sur l’identité du possible complice.


Tracy Boudreau est-il encore vivant? Je ne le sais pas. Il a été reconnu coupable en 1978 pour le meurtre d’une femme de 34 ans à Sept-Îles.(4) Quand j’en aurai le temps, j’aimerais bien retracer des gens qui l’ont connu. J’aimerais aussi en apprendre plus sur l’itinéraire qu’auraient emprunté les chasseurs entre leur ville natale et leur sombre destin au campement.
Est-ce que je pense que Wilbert Coffin est réellement le meurtrier? Je ne le sais toujours pas. S’il est troublant d’évoquer que le système de justice ait pu conspiré de la sorte, il l’est tout autant de penser que les citoyens puissent crier trop facilement au scandale. Il y a un côté en moi qui aimerait trouver pendant longtemps des failles dans l’affaire parce que c’est quand même ça qui nous aire dans cette histoire. Et il y a cet autre côté plus pragmatique qui trouve un réconfort à avouer que Coffin n’a pas tellement le profil d’un innocent.
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(1) L’Affaire Coffin, Jacques Hébert, 1981 (2) La Presse, 3 mars 1964, BAnQ (3) Progrès du Saguenay, 4 décembre 1958, BAnQ (4) Le Soleil, 2 novembre 1978, BAnQ
Croquis en haut de l’article: Allô Police, 1953, google newspapers