cas divers

Le mystère d’Harold Baker

Jean-Philippe et moi sommes tombés sur un cas de meurtre d’un restaurateur sur le Boulevard Lasalle à Verdun survenu en septembre 1924.  Plusieurs bandits avaient été arrêtés en marge de ce cambriolage qui s’est malheureusement terminé par la mort de François-Xavier Beauvais .  Dans cette chasse à l’homme, un policier serait venu à bout de quatre individus à lui seul.  Jusque là, c’était tout de même une sérieuse affaire et les procédures allaient faire l’objet de plusieurs articles de journaux. 

Parmi les accusés, un jeune homme de 18 ans au nom d’Harold « Kid » Baker devint alors témoin de la Couronne, à une condition de révéler tous les faits, puisque c’est lui qui conduisait les complices en voiture. Trois jeunes hommes vont être accusés du meurtre. Toutefois, un des bandits, Richard Pearce, reste introuvable. Le procès eut lieu au printemps 1925 et l’histoire s’estompe peu à peu, comme il se doit.

En 1932, le meurtre de Beauvais refait surface alors qu’on a enfin arrêté Pearce à Outremont. Il fallait donc faire son procès et assigner les témoins dans cette affaire qui date de 8 ans. Entre-temps, un des détenus avait expié son crime sur l’échafaud (*mise à jour: cette peine avait été finalement commuée en sentence à vie). Quant à Harold « Kid » Baker, il fut ramené à Montréal pour son témoignage puisqu’il résidait alors en Californie.

Ruelle le bandit fut abattu, La Presse, 4 mai 1925, BAnQ

Si on revient en 1925, le 2 mai, soit peu de temps après le procès pour le meurtre de Beauvais, un jeune homme est abattu par la police et personne n’arrive à identifier l’individu. L’homme avait volé un chauffeur de taxi à la pointe d’un revolver et s’était enfui dans une ruelle au coin des rues Sherbrooke et Saint-Mathieu. Le constable Ovila Brodeur avait tiré 5 coups de feu dans les airs afin d’amener le fuyard armé à se rendre. Son intervention n’ayant pas fonctionné, il décida de tirer en visant une jambe mais au même moment, le jeune s’élançait pour grimper une clôture. Le projectile atteint sa hanche et traversa un rein et les intestins. La mort fut presque instantanée. Le hic, c’est que personne ne reconnait formellement l’individu, excepté un ancien employeur.  Ce dernier soutient que le corps est celui de Charles Devine. La photo du visage de la dépouille figure dans La Presse. On retrouve alors un couple de la rue Jeanne-Mance chez qui un Charles Devine s’était installé comme chambreur depuis peu. Rapidement, on parle alors d’un Harold Baker qui utilisait le nom Devine comme alias. Le père du Harold Baker en question est alors venu de Toronto afin d’identifier son garçon. Il dit ne pas pouvoir être certain d’affirmer que ce soit son garçon mais le jury décide tout de même d’identifier formellement la victime comme étant Harold Baker. Les journaux nous informent que le père retourne tout de même en Ontario avec le corps de celui qu’il n’a pas identifié positivement comme étant son fils pour l’inhumer à Toronto. Quant au constable Brodeur, il n’a pas été tenu responsable du décès du garçon.

Avait-on affaire au même jeune Baker impliqué dans le meurtre de Beauvais? Celui qui était bien vivant en 1932 pour témoigner?

La Presse, 5 mai 1925, BAnQ

Est-ce qu’on a pu insister auprès du père d’Harold Baker pour identifier la victime à ce nom? Comment n’a t-il pas pu identifier son fils alors qu’on dit que le cadavre est frais et que le visage n’a pas été touché? Quant au couple chez qui Baker résidait, tout ce que j’ai trouvé est un avis de décès de la femme de 27 ans et ce… 8 jours après la mort du bandit et deux jours après la fin de l’enquête du coroner. Sinistre adon. Est-ce que le décès de ce bandit a pu « éponger » une autre affaire un peu plus tentaculaire? Tout cela semble un peu trop suspicieux, voir même exagéré, mais il faut se plonger dans les années 20 à Montréal pour comprendre que bien des scénarios aux allures de fabulation deviennent presque banals.

J’ai fouillé en généalogie et j’ai trouvé un acte d’inhumation au cimetière Hawthorne Dale à Pointe-aux-Trembles pour le décès d’Harold Baker survenu le 2 mai 1925 et il est indiqué que l’inhumé à 26 ans alors que le bandit dans l’affaire de Verdun avait tout au plus 18 ans! Étrange. Je suis allée voir le lot où est enterré Baker mais aucune sépulture ne m’indique vraiment s’il s’y trouve et il ne s’agit pas de la fosse commune. Par ailleurs, plusieurs monuments portent des gravures devenues illisibles avec le temps. Pourquoi a-t-on dit qu’Augustus Baker avait ramené le corps d’Harold à Toronto si ce dernier fut inhumé à Montréal?

Nous avons demandé l’enquête du coroner de Charles Devine / Harold Baker à la BAnQ. Nous pouvons entre autre y lire les témoignages des personnes impliquées et il est aussi question de la feuille de route d’Harold entre 1916 et 1920 en Ontario. Plusieurs vols et deux évasions de prison. On y apprend aussi que l’identification fut corroborée avec les empreintes digitales que détenaient les autorités de l’Ontario avec celles prélevées sur le cadavre par le spécialiste Eugène Laflamme. De plus, il est indiqué que le père du jeune homme, étant apparemment une personne notable et respectée, avait peur d’être identifié dans les journaux. Selon ses dires, il avait chassé son fils de chez lui parce qu’il n’en « venait pas à bout ». Voilà donc pourquoi il a probablement préféré ne pas l’identifier publiquement. Et cela explique aussi probablement pourquoi il l’a rapidement fait inhumer ici plutôt que de ramener le corps dans sa ville natale alors qu’il ne voulait absolument pas que cette affaire s’ébruite. D’ailleurs, nous avons pu comparer les signatures du père dans son dossier du coroner et dans l’acte paroissial d’inhumation du 9 mai 1925. Elles sont en effet très similaires.

Dossier du coroner (TP12S2SS26_19250504) BAnQ Vieux-Montréal et acte d’inhumation d’Harold Baker (Collection Drouin, Ancestry)

De plus, nous avons trouvé l’index du dossier d’Harold Baker dans les archives du pénitencier de Kingston en 1917, alors qu’il n’avait que 17 ans. Si on compare sa photo avec celle du cadavre dans La Presse, on peut constater somme toute la présence d’une ressemblance.

La Presse, 4 mai 1925, BAnQ et Fonds du Service correctionnel du Canada – Kingston Penitentiary inmate history description ledger (www.bac-lac.gc.ca)

Harold Baker décédé en mai 1925 n’est pas le Harold Baker témoin de la couronne en mars 1925. Le Harold Baker arrivé de Californie en 1932 pour le procès de Pearce n’est pas un revenant. Et l’inhumé de Pointe-aux-Trembles n’est pas un inconnu mystérieux. Mais chemin faisant, on pourra dire qu’on peaufine notre art.

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