Généralement, je n’aime pas ce type de crime sordide. Malheureusement, quand on aime les archives judiciaires, on ne peut pas passer à côté du décapité puisqu’il est un de ces mystères qui ont fait couler sang et encre à travers les théories et à travers le temps. Et qui plus est, ayant fouillé l’an 1953 de fond en comble dans les journaux pour l’affaire Boudreau, il m’aurait été difficile d’ignorer ce curieux événement.
Le 28 octobre 1953, un homme résidant sur la rue Bourbonnière près de la rue Sherbrooke remarque un curieux paquet enroulé dans un tissu en pleine ruelle derrière sa demeure. En s’approchant, il découvre que c’est un corps. Il alerte les autorités et la découverte devient très médiatisée. L’affaire prend en effet une tournure horrifiante puisque le corps est soustrait de sa tête, de ses pieds et de ses mains. Le tronc avait aussi été blessé par balle. Bien évidemment, les premières hypothèses préconisées jusqu’à ce jour se tournent vers le règlement de compte puisqu’on semble avoir voulu empêcher l’identification de cet homme qui était décédé depuis très peu de temps. Le dépeçage aurait été fait professionnellement. Peu de temps après, un cultivateur trouve le pied gauche près St-Gérard-de-Magella. Quelques jours plus tard, l’autre pied est retrouvé à moins d’un mille de l’autre. Les deux pieds ont été retrouvés près de la route du côté qui s’oriente vers Montréal. Dans la même région à la mi-novembre, des employés de la Voirie découvre la tête déposée apparemment dans une boîte de biscuits Lido dans un fossé. Les mains ne seront jamais retrouvées.

L’affaire n’a d’ailleurs connu aucune résolution. Le 16 décembre 1953, les journaux annoncent que cet inconnu est inhumé au Cimetière de l’Est (maintenant le Repos Saint-François-d’Assise) non loin du corps d’une femme retrouvée assassinée dans la Rivière-des-Prairies un peu avant lui. Or, Patricia Rochette, la nièce de Marie-Paule Rochette, disparue la même année, possède deux documents officiels de l’inhumation de cette « non-identifiée » dans ce cimetière. L’histoire de sa tante a fait l’objet d’n balado à Radio-Canada (Disparu(e)s). Les journalistes ayant croqué l’événement sur le vif, je suis portée à croire que cette information est la bonne. La tête était toutefois conservée un peu plus longtemps par le coroner dans l’espoir d’au moins identifier la victime. Toutefois, cet homme aux origines d’apparence italienne dont l’âge était évalué à la fin quarantaine continuera de porter les noms « décapité » et « macchabé » pendant longtemps.

J’ouvre une parenthèse. En avril 1954, un membre du monde interlope, Frank Battaglia, se faisait assassiner quelques heures après sa sortie de prison. Son corps a été retrouvé dans le même quartier que celui du décapité. À l’instar de ce dernier, l’affaire Battaglia n’a pas connu de résolution. Il aurait peut-être été exécuté par la West End Gang. N’ayant eu aucun proche voulant prendre en charge le corps du défunt, il aurait été inhumé en fosse commune dans un cimetière dans l’est et ce, tant qu’à y être, avec la tête du décapité.
Oui, c’est bien ça, la tête du décapité avec Frank Battaglia dans le même cercueil.

C’est dans le journal The Gazette du 1er mai 1954 que des précisions sont apportées. Le cimetière où repose le corps de Battaglia serait le cimetière Hawthorne Dale, portant maintenant le nom de Cimetière des Trembles à Pointe-aux-Trembles. Ce choix de les porter en terre « non-bénite » aurait été fait en raison de l’absence de religion connue pour les défunts. La terre de ce cimetière n’a pas vraiment bougé. Le plan est le même et les fosses communes se retrouvent au même endroit sans toutefois la présence des petites croix qui avaient été érigées.
Donc le corps ainsi que les pieds du décapité seraient au repos St-François-d’Assise, la tête à Pointe-aux-Trembles et les mains dans un lieu encore inconnu, probablement dans Lanaudière.
Non-identifié et en pièces détachées pour l’éternité.
Et qui sait, reposant possiblement sur le corps d’un ennemi.
Ou peut-être l’inverse.

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Recherches faites avec Patricia Rochette
Merci à Jacques Goyer pour le partage de ses recherches (« La mort en pièces détachées »)
Sources:
banq.qc.ca
Allô Police: Google Newspapers
The Gazette: newspaper.com
Proulx, Daniel, 1978, « Le décapité de la rue Bourbonnière », Les bas-fonds de Montréal, VLB éditeurs, p, 75
Proulx, Daniel, 1978, « Ces messieurs règlent leurs comptes », Les bas-fonds de Montréal, VLB éditeurs, p, 85
Encore un dossier qui ferait un excellent film!
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